Vingt-six petits soldats sans âme
RÉSUMÉ
Dès son premier roman, Chouchou, Miro Larocque avait surpris avec une proposition romanesque déjantée, d’une invention irrévérencieuse, fêlée à dessein et portée par une lucidité sans pitié. Il récidive avec Vingt-six petits soldats sans âme, référence directe aux vingt-six lettres de l’alphabet qui sont le matériau premier de toute écriture, et qui servent ici à énoncer / annoncer / dénoncer l’envers et les travers des chimères contemporaines.
Constance vit au placard avec son père, homme déçu et déchu qui boit et organise des orgies à la maison, une dépendance d’un manoir bourgeois. Étudiante à l’usine – l’université des savoirs et des désillusions, des faussetés et des mensonges –, elle aime Homard, son maître d’écriture à qui elle a confié le manuscrit de son premier roman, qu’il garde jalousement. Mais Homard, qui fait aussi le trafic de drogues dures pour arrondir ses fins de mois, n’a pas que du sentiment pour Constance et son génie, et il est capable de dérives et de petites violences.
Le grand rêve de Constance, sœur de la Bérénice ducharmienne, est de transformer la Terre « en un grand jardin d’amour » où les êtres seraient libres au superlatif. Lourd programme pour elle, dont l’unique amie, Rachel, une enfant malade, se meurt au manoir, car elle porte les douleurs d’une famille et d’un siècle qui ont saccagé son innocence.
Le souffle syncopé de Constance est une sorte de messe nocturne livrée a cappella où les phrases dans sa tête « filent comme des trains de fumée ». L’ultra-supra-meta conscience fait résonner chez cette anti-héroïne une angoisse qui découpe le flot de sa pensée en une ordonnance viscérale : les mots, littéralement, « tentent de s’enfuir comme des oiseaux ». Sainte Constance, comme l’appelle son père, priez pour nous, car le monde est au bord du gouffre, et la mort, poétique ultime, rôde partout sans jamais réussir à consoler l’inconsolable.
Au tout début de sa vingtaine, Miro le magnifique donne avec ce roman un solide coup de pied dans la littérature des convenances.