Requiem pour un couple épuisant
RÉSUMÉ
L’année 1994 reste dans nos souvenirs comme « l’année Poe ». Ils lisaient Poe, voyaient des films adaptés de Poe, se prenaient pour Poe, écrivaient comme Poe. Sans cesse, quand quelque chose ne leur plaisait pas, ils regardaient leurs interlocuteurs d’un œil sombre et répétaient « nevermore », obsédés par le corbeau du célèbre poème, dégoûtés de cette vie « mi-shell mi-coquille », comme disait Paul lorsqu’il voulait signifier, par cette expression bilingue, le gris d’une existence dont il espérait la renaissance. En un mot comme en cent, ils étaient insupportables. Nous avions l’habitude, mais ne pouvions nous habituer.
Jean-François Chassay propose dix-neuf nouvelles « solites et insolites » dans lesquelles la langue permet de déjouer la réalité pour faire basculer le lecteur du côté de mondes décalés ou fantastiques. Délire et folie se croisent fréquemment au détour d’une phrase, l’étrangeté étant ici la norme.
Fasciné par l’immensité des villes comme par les lieux clos, par l’inquiétante promiscuité des humains (et autres mammifères) comme par leur désarroi, l’auteur affronte aussi la mort, parfois de façon ironique, parfois en la liant à des pouvoirs critiqués. Par l’intermédiaire des personnages nous sont livrés les commentaires caustiques ou indignés d’un observateur lucide. La forme brève réussit parfaitement à traduire les propos, jamais banals, des narrateurs.
Jean-François Chassay a souvent dit « qu’on n’écrit jamais seul ». Il en fait encore une fois la démonstration ici, alors que des écrivains l’accompagnent dans ses narrations, où apparaissent, de différentes manières, Joyce et Flaubert, Queneau et DeLillo, Kafka et Céline. Autant de bonnes raisons de lire, puis de revisiter nos classiques…